lundi 6 janvier 2014

Le poil de la bête

Je tiens tout d'abord à vous souhaiter à toutes et à tous une très bonne année 2014, qu'elle soit riche en bonnes lectures ! Je souhaite également vous remercier de me lire en espérant que je puisse aiguiller parfois vos choix de lecture. Ma fin d'année fut légèrement compliquée et j'ai quelques chroniques et lectures en retard ... mais commençons avec Le poil de la bête, le nouveau roman d'Heinrich Steinfest publié en France par Carnets Nord.

Présentation de l'éditeur :
Anna Gemini est une blonde discrète devenue tueuse à gages pour assurer une vie confortable à son fils Carl, adolescent handicapé dont elle ne se sépare jamais. Mère poule et tueuse free lance : Anna allie les deux sans états d’âme inutiles. Deux principes cependant lui tiennent à cœur : elle part toujours en mission avec son fils, et  ses victimes doivent acquitter elles-mêmes, d’une façon ou d’une autre, le prix de leur élimination.
Son chaperon dans le métier est Kurt Smolek, officiellement archiviste à la municipalité de Vienne, officieusement agent secret et intermédiaire en tout genre. Mais voilà qu’elle accepte de tuer un diplomate norvégien, à la demande de l’épouse de celui-ci et sans passer par les bons services de Smolek. Profitant d’une escapade du couple à Vienne, Anna liquide le diplomate et croit l’affaire close.
Mais ce meurtre inquiète le gouvernement norvégien, qui fait appel à Markus Cheng, détective privé autrichien mais exilé depuis quelques années à Copenhague.
Le privé Cheng, comme l’inspecteur Lukastik de Requins d’eau douce, est l’incarnation du flegme viennois : émotions maîtrisées et distance critique. Autrichien pur jus malgré un physique de Chinois, traversé en permanence par des états d’âme divers et variés, il a perdu sa femme et un bras au cours d’enquêtes précédentes, et ne regrette d’ailleurs ni l’un ni l’autre. Il forme un couple incongru avec son vieux chien, Oreillard, devenu incontinent, qui passe son temps à dormir et n’a jamais fait peur à personne.
Petit à petit, Cheng s’enfonce dans cette enquête en forme de sables mouvants, où tout le monde se connaît et court après le même Graal : la formule secrète de la première Eau de Cologne (4711), qui serait un élixir de vie éternelle.
Comme toujours, Heinrich Steinfest mêle les intrigues comme des filets pour mieux serrer son sujet : le bestiaire humain. Le tout pour décaper le monde moderne avec un sens aigu du politiquement incorrect et de la provocation douce.

Le style de l'auteur du Onzième Pion et Requins d'eau douce est toujours aussi parfait et je félicite la traductrice pour son travail. Comme pour ses deux précédents romans sortis en France, Le poil de la bête est un polar hors du commun alliant à la perfection le noir à l'humour complétement déjanté. C'est un succulent mélange de genre.

Heinrich Steinfest arrive en usant de l'absurde à montrer la difficulté à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Le lecteur se sent totalement abasourdi face à de tels comportements ou répliques présents dans le roman à l'image de ce superbe : "Il connaît votre absence de style très particulière.".
Certains de ces dialogues m'ont fait me rappeler le début du génial Procès de Kafka où K apprend qu'il est accusé mais il n'en connait pas la raison. Les dialogues tiennent la route, et pourtant, il est abhérant de ne pas connaître la raison de son arrestation. Ici, on est parfois dans le même cas de figure. Certaines choses semblent tellement logiques pour les personnages alors que pour nous c'est tout à fait surprenant. L'auteur exprime parfaitement cette incompréhension de la part de ses personnages du monde dans lequel ils vivent.

Parlons un peu de l'histoire. L'auteur met en scène une femme blonde intelligente et cultivée. Déjà, il va à l'encontre des stéréotypes. De même une femme, mère célibataire, qui devient tueuse à gage c'est plutôt rare. Celle-ci passe par un spécialiste de ces sortes de contrat, un homme instruit au nom de star : Kurt Smolek.

Kurt Smolek, c'est le personnage qui va permettre d'introduire l'art dans l'histoire. L'art prend une place très importante car elle est omniprésente et donne une certaine beauté à tous ces crimes. Il lie la beauté de l'art à l'horreur du meurtre. L'auteur gratifie les méthodes de ce Kurt Smolek en lui créant son adjectif éponyme : "Quant au principe smolekien de faire payer à l'assassiné son assassinat, il avait tant de charme et de puissance morale".
Kurt Smolek est un peu comme la pièce centrale de l'échiquier qui se met peu à peu en place. Il permet à plusieurs personnages de trouver leur place dans l'histoire. Une histoire où les personnages partent en quête du Graal, ou plutôt de la recette de l'eau de Cologne, et où l'on passe du folklore juif et son golem aux œuvres d'Albrecht Dürer. Tout cela semble n'avoir ni queue ni tête et pourtant le tout forme une sorte de conte hors du commun et parfaitement cohérent.

Avec Le poil de la bête, Steinfest confirme qu'il est un très grand auteur qui se démarque par son humour si particulier, loufoque mais totalement maîtrisé. Malgré quelques longueurs dans la seconde moitié du roman, Le poil de la bête est un roman prodigieux et fait d'Heinrich Steinfest un auteur vraiment à part.

Ce qu'il y a d'essentiel en matière d'univers parallèles, c'est qu'ils sortent tous du même nid.
L'art est une tentative pour déterminer la nature de ce nid.
D'après les notes de l'auteur.

Aucun commentaire: